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Y a-t-il encore un Linuxien au Québec?



Ceux qui suivent ma démarche depuis quelques années auprès de CAM et
Linux-Québec disent que je roupète toujours, que je n'apporte rien de
positif.  Ils ne comprennent pas ma propension à jouer les avocats du
diable, surtout que je m'attire bien des coups. Voici l'explication de
cet étrange phénomène.

Au sein des sociétés à but lucratif, il existe un vil instrument qui
joue tout de même un rôle fort commode. Eh oui, vous l'aurez compris,
il s'agit de l'argent. Quand le président d'une compagnie -- pensons à
John Roth, par exemple -- doit annoncer aux actionnaires que sa... que
leur compagnie vient de perdre un milliard dans un trimestre, tout
d'un coup, il sent que son siège est chaud. Il comprend que, si la
compagnie ne devient pas vite suffisamment productive, son nom va être
fait urbi et orbi, et qu'il sera bon pour le chômage. Tout d'un coup,
pour le meilleur ou pour le pire -- généralement, à court terme, pour
le pire des employés -- la compagnie se réorganise.

Ce mécanisme régulateur existe rarement au sein des OBNL(1). Il a joué
un rôle chez Communications Accessibles Montréal (CAM). À un moment
donné, on s'est rendu compte qu'on ne pouvait plus payer le loyer et
les fournisseurs de services, et une... certaine réorientation s'est
produite. Ce ne sont pas les membres qui l'ont réclamée, ni même
l'ancienne administration. C'est l'argent, ce que certains appellent
«la réalité», qui l'a réclamée. Ce coup de semonce fut-il
providentiel? CAM parviendra-t-il à remonter la côte? C'est ce qui
reste à voir.

(1) On disait anciennement OSBL, Organisme sans but lucratif

Linux-Québec n'a pas de compte à payer et personne ne souscrit un seul
sou à la survie de l'organisme. En fait, on a cru bon de ne même pas
l'enregistrer. C'est ainsi que ses «dirigeants» pourraient vanter
leurs mérites  comme le faisaient anciennement ceux de CAM alors que
L-Q sombrerait. Ça ne paraîtrait finalement que lorsque Linux aurait
coulé à pic. Il n'y a aucun baromètre précis de la performance du
non-organisme. Et pourtant...

Il est certain que le département de marketing d'une entreprise se
ferait passer un méchant savon, s'il fallait qu'il se fasse offrir
gratuitment un kiosque ET UNE SALLE DE CONFÉRENCE par le Comdex, et
qu'il ne se présente même pas. Or, malgré que je me sois enquis de la
progression de la démonstration, Michel Dagenais n'a jamais répondu un
seul mot. Non seulement, il ne m'a pas répondu, mais il a apparemment
laissé croire au Comdex que nous serions présents, puisque le kiosque
a été monté, avec le nom de Linux-Québec clairement affiché.

C'était ma pire crainte, en même temps qu'exactement ce à quoi je
m'attendais. En effet, en même temps qu'on moussait les mérites de
Linux -- entre autres. dans les écoles -- on n'avait jamais fait la
moindre installation d'un desktop avec un lien vers un lecteur de
disquette, un fax qui fonctionne, le minimum auquel le populo du
Comdex s'attend, quoi! Et on a osé dire qu'on n'était pas allés au
Comdex parce que les suits n'étaient pas assez savants!

Dans de telles conditions, comment Linux dans les écoles aurait-il pu
fonctionner? Sur un simple coup de téléphone, j'ai appris que le
premier projet pilote n'a jamais fonctionné. Quand j'ai pris contact
avec Jacques Gélinas, qui a participé au projet avec Michel Dagenais,
il m'a dit que son fils ne fréquentait plus l'école et qu'il ne savait
pas ce qui s'était passé. Est-ce bien ce qu'on appelle un projet
pilote? Pas dans le «vrai» monde, en tout cas. Dans le vrai monde,
Gélinas aurait bien pu ne pas avoir d'enfants, ç'aurait été du pareil
au même, on aurait fait un suivi.

Aujourd'hui, ladite école des Trois-Soleils ne figure plus sur la page
des écoles utilisant Linux
(http://linux-quebec.org/ecoles/sites.html) de L-Q, mais est-ce
que les autres écoles fonctionnent vraiment ou est-ce qu'ils ont peine
à lire une disquette ou à faire des copier-coller d'une application à
l'autre? Leurs applications plantent-elles dix fois plus que celles de
Windows, comme ça m'est arrivé lorsque j'ai installé Slackware? Est-ce
que les élèves apprécient Linux ou se disent-ils «Si on peut enfin
arriver à la maison pour utiliser Windows!» Linux se fait-il une
publicité ou une contre-publicité?

En tout cas, il est clair que les «informations datent» sur la page
Ecoles de L-Q (http://linux-quebec.org/ecoles/Ecole.html)  Il est
maintenant reconnu que le projet Linux au Mexique a complètement
échoué:

«In 1998, the Mexican government embarked on an ambitious attempt to
equip its vast and underfunded school system with computers running
the free operating system GNU/Linux.

By using free software, the project hoped to save up to $124 million
in software licenses, money that could be diverted into buying
hardware for more than 126,000 public schools.

It looked so attractive, the RedEscolar project inspired similar
efforts in Brazil and Argentina.  But three years on, the program has
largely failed to get GNU/Linux into more than a handful of Mexican
schools.  RedEscolar, or "Scholar Net," has put computers in 4,500
schools, but fewer than 20 are equipped with GNU/Linux machines. The
rest are running Windows 95 or 98.»

http://www.wired.com/news/print/0,1294,45737,00.html

Est-ce Wired qui ment ou est-ce L-Q qui, une fois encore, n'insiste
pas trop sur le suivi? Dans de telles conditions, faut-il s'étonner
que les bonnes nouvelles concernant Linux concernent toujours le
futur? Et là, Microsoft propose de régler des différents à l'amiable
en inondant les écoles de logiciels gratuits:

«Microsoft Corp. a fait savoir mardi qu'il prévoirait une provision de
550 millions de dollars US dans son exercice 2002 en cas de règlement
à l'amiable de la centaine de poursuites privées dont il fait l'objet
pour non-respect de la concurrence.

Le règlement proposé, un accord sur cinq ans, prévoit, selon le
groupe, que Microsoft verserait plus d'un milliard de dollars en
numéraire et fournirait des logiciels à plus de 12 500 établissements
scolaires, ce qui concernerait près de sept millions d'étudiants de
secteurs défavorisés.

Microsoft a précisé qu'il présenterait le projet de règlement dans la
journée de mardi devant un tribunal fédéral du Maryland. Une audience
publique est prévue mardi prochain sur ce projet, a ajouté le groupe.»

http://www.cyberpresse.ca/reseau/internet/0111/int_101110031581.html

Même au Canada, en combinant les investissements des ministères de
l'Éducation et les dons de Microsoft, il est certain que Linux ne
constitue qu'une goutet d'eau dans la mer Microsoft. En Suisse -- qui
ne fait pas partie de la CEE -- Microsoft a fait au gouvernement des
offres plus qu'alléchantes pour les écoles. Les futurs banquiers se
serviront de produits Microsoft...

Dans les écoles, au gouvernement, dans les médias et l'industrie en
général, l'emprise de la firme de Redmond se consolide. Il n'y a plus
que les banques qui demeurent méfiantes. 

Et le public en général, comment son opinion sur Linux a-t-elle
évolué? Lors de la dernière Installfest, on a constaté une baisse
dramatique de l'assistance. On a prétendu qu'il n'y avait pas eu assez
de publicité. Or, il y en a eu autant que par les années passées.
Seulement, cette fois-ci, le bouche à oreille a sans doute joué en
défaveur de Linux.

Comme l'a démontré ma petite enquête, il semble n'y avoir personne sur
les groupes L-Q qui a débuté avec Linux lors d'une Installfest. On
peut supposer que ceux qui se font installer Linux sont déçus des
résultats: arriver à «installation terminée», c'est ce qu'il y a de
plus simple au monde. C'est ensuite que la vie se complique. Il
suffit, par exemple, que l'installateur ait repointé /dev/modem vers
/ttySx, plutôt que de faire le changement dans le BIOS pour que, à la
première reconfiguration avec xf86config, le modem ne fonctionne plus.
Et alors, pour l'utilisateur, c'est mystère et boule de gomme! 

Et puis, quand les gens achètent Windows installé, au moins, ils n'ont
pas besoin de se battre pour lire une disquette. Tourner en rond dans
les instructions débiles de KDE finit par irriter. La rumeur fait
boule de neige et s'amplifie, il y a moins de gens à l'Installfest.

Est-ce vraiment haïr Linux que de faire ces mises au point?
Faudrait-il laisser Linux se développer dans les nuages jusqu'au crash
final? Si comme le prétend un certain Pygeon, «Comparer Linux à
Windows, c'est ridicule. (...) L'argent c'est le nerf de la guerre des
logiciels... ça c'est l'évidence.» autant abandonner tout de suite,
parce que la license GNU ne permettra jamais que l'argent devienne le
nerf de la guerre.

Bien sûr, Red Hat tient toujours le coup. Bob, l'émule autoproclamée
de Bill, s'est organisé pour faire entrer Linux dans le carcan
traditionnel du système capitaliste en inscrivant le premier sa
compagnie à la Bourse. Mais maintenant, les investisseurs ont compris
et n'investiront plus dans un OS qui est fait pour susciter la
collaboration et non pour engendrer de gros sous. (Ce ne sont pas les
trois petits millions réunis par Mandrake dans une Bourse parallèle
qui changent quoi que ce soit à cette affirmation.) 

Si jamais les investisseurs qui disent avoir été roulés par une
manoeuvre visant à faire monter la valeur des actions rhat, n'ont pas
gain de cause, la communauté Linux continuera à être victime des coups
bas de Red Hat: le compilateur «maison» 2.96 ou «l'oubli» du umask qui
mettait Slackware à découvert, par exemple. Plus bas que Bill, tu
t'appelles Bob, pas de doute là-dessus. Bob est tout simplement né
quelques années trop tard.

Mais toute cette folie n'a rien à voir avec Linux. Linux a toutes les
ressources qu'il faut, c'est sa communauté qui fait sa force. Sauf que
sa communauté, ce n'est pas seulement les programmeurs, comme on l'a
prétendu jusqu'à présent, mais aussi sa base d'usagers, qu'il faut
former petit à petit.

Au début, ce sont bien sûr les programmeurs qui ont lancé Linux. Et
ils ont fait un sapré bon travail. Mais s'il avait suffi de faire un
bon OS pour envahir le marché -- et il le faudra, sinon, Microsoft ne
tolérera pas la présence d'un autre joueur -- Linux n'en serait pas où
il en est aujourd'hui. Les programmeurs peuvent toujours se
débrouiller et «tweaker» Linux pour qu'il fonctionne à leur goût,
mais, exactement comme dans une compagnie privée, il faut que
quelqu'un vérifie si, en bout de ligne, l'utilisateur obtient les
résultats qu'il attend.

Ça aussi je l'ai dit, et ça aussi je le répète, je pense que Linux en
est rendu à cela aujourd'hui. Il est certainement possible de mettre
un lien sur un bureau vers un lecteur de disquettes, avec tout ce
qu'il faut dans le noyau ou des modules pour que les disquettes DOS
soient lues et sans qu'il ne faille sans cesse monter et démonter.
Est-ce que Linux échouera simplement parce que personne n'aura fait
«l'effort» d'inclure les options lors de la compilation ou parce que
les instructions nécessaires n'auront pas été fournies? 

Évidemment, nés pour un petit pain que nous sommes, nous pourrions
garder les yeux tournés vers les États-Unis, l'Europe ou le Mexique
pour voir si quelqu'un quelque part va réussir l'incroyable tour de
force de produire une distro dans laquelle l'utilisateur se retrouve
un peu. Quand allons-nous arrêter de projeter sur l'herbe plus verte
du voisin? C'est ça, la question. La tâche est-elle si titanesque? Il
suffirait de choisir les applications qui fonctionnent le mieux, de
mettre des programmeurs à corriger les bugs mineurs et d'informer les
développeurs des bugs plus importants. 

Ce choix des applications a souvent passé pour une ingérence indue,
mais comment le débutant pourrait-il effectuer un choix éclairé? En
lui présentant d'abord des applications qui fonctionnent bien et des
instructions précises, on l'accoutumerait à Linux. Libre ensuite à lui
d'aller chercher ce qui pourrait mieux faire son affaire. Là aussi, le
bouche à oreille fonctionne! Et les autres applications pourraient
éventuellement se trouver sur un deuxième CD inclus. Au lieu du
fouillis actuel où le débutant se voit confronté à installer toutes
sortes d'applications qu'il n'utilisera jamais ou à faire des choix
entre des «mots» comme Vi, Vim, Elvis, Joe ou Pico, il y aurait un
chemin de tracé. 

Bien sûr, d'autres distros feraient certainement des choix de base
différents.  La démocratie, ce pourrait aussi être ça! Les
développeurs qui travaillent à des projets qui ne seraient retenus par
aucune distribution devraient se remettre en question, soit redoubler
d'efforts ou rejoindre les rangs de ceux qui ont choisi une voie qui
s'avère plus prometteuse. Comme ça, on aurait peut-être cinq plutôt
que cinquante lecteurs de courel. En fin de compte, est-ce que Linux
n'y gagnerait pas?

(Et, en passant, est-ce qu'il ne faudrait pas ajouter un autre fichier
xmodmap à celui proposé par L-Q? En tout cas, plusieurs touches de mon
vieux clavier, acheté il y a six ans, ne correspondent plus aux scan
codes proposés, ni dans KDE, ni dans Windows. Par exemple, «   » se
font maintenant avec ALT Group + z et x. C'est juste un détail, juste
une niaiserie, je sais. Mais le débutant, lui, il ne trouve pas ça
drôle. J'ai bien peur que le xmodmap de L-Q ne corresponde plus à la
configuration des nouveaux claviers.)

Il y a maintenant deux ou trois ans que je fais ce genre de
proposition et que j'essuie les insultes de savants Ti-Culs qui me
servent leur RTFM. Avec, d'autre part, les gens qui rient de moi en
disant que le non lucratif, «ça finit toujours en queue de poisson»,
j'ai l'impression d'avoir droit à l'horizon complet de l'insulte(1).

(1) Je me rappellerai toujours comment cette sotte d'Amiot à La Presse
me riait au nez quand je rappelais que le vérificateur de CAM n'était
même pas en mesure d'établir les revenus, que les dégrèvements d'impôt
ne profitaient nullement aux membres (pour les amener à Linux, par
exemple...), que les membres du CA restaient en place plus longtemps
que ne le permettait la loi. Le maudit fric a beau dévaster la
planète, certains ne voient toujours pour le futur qu'une continution
en ligne directe du passé! À mon âge, semblait-on vouloir me dire
autant dans les médias qu'au gouvernement, on est normalement revenu
les pieds sur terre, on ne rêve plus, on a renoué avec la «réalité».
Mais, manifestement, ces gens-là n'ont aucune idée de ce que sera, ou
même de ce qu'est déjà, ce monde contrôlé par quelques multinationales
pleines de bonnes intentions... mais oh! combien voraces. Et les
Linuxiens, ont-ils une quelconque idée de ce monde où on ne leur
demandera plus que d'apprendre par coeur des interfaces pour gérer des
systèmes? Parce que, à très brève échéance -- oui, les jeunes, 10 ans,
c'est une très brève échéance -- c'est ce qui s'en vient.

                        ******

Bien qu'aucun bilan trimestriel ne soit là pour en témoigner, au point
où nous en sommes rendus, quiconque a une tête sur les épaules devrait
comprendre la situation dramatique dans laquelle Linux se trouve. Au
moment où je discutais avec Fabien Ninoles et Julie Lavoie, la réalité
pouvait sembler fournir des arguments à mes adversaires, mais
aujourd'hui, alors que l'attitude Read-The-Fuckin'-Manual ne change
pas, qu'on préfère généralement se ranger du côté des pigeons et des
cowboys, la discussion devient dérisoire.

Si jamais il se trouve sur le marché québécois une distro qui
s'installe sans jouer à la roulette pendant des heures avec des
paquets d'applications allant de A à Z, une distro qui permette de
lire des disquettes, de graver des CD, d'envoyer des fax, de réussir
des copier-coller à tout coup, de taper avec un clavier «cf» ancien ou
moderne, sonnez-moi, je suis preneur. On verra s'il y a moyen de
monter du son ou des films.

Pour le moment, l'avocat du diable en a assez de se faire mener sur
une coquille de noix dans la tempête, assez d'entendre de vains
hourras! S'il y a tant de grands programmeurs, qu'ils règlent au moins
les problèmes de copier-coller! S'il y a des gens qui s'occupent du
site de L-Q, qu'ils donnent l'heure juste au Québec plutôt que de nous
servir des imbécilités sur le Mexique! Qu'ils refassent un autre
xmodmap(1)! Est-ce que vraiment personne n'a acheté un clavier depuis
six mois? Est-ce tout le monde se sert du clavier US? Personne ne
s'est-il demandé pourquoi on peine à trouver un clavier cf, même dans
les Future Shop?

(1) Le premier, qui m'avait été envoyé par Richard Bellavance, c'est
moi, qui l'ai fourni, deux mois avant qu'il n'apparaisse sur le site.
Jamais je n'ai reçu même un accusé de réception sur le sujet. 

Y a-t-il encore un Linuxien au Québec?

GP
--
La Masse Critique
Le sionisme: un rappel historique
http://pages.infinit.net/mcrit/sionisme.html