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La libre diffusion des connaissances
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- Subject: La libre diffusion des connaissances
- From: (Gilles Pelletier)
- Date: Mon, 3 Apr 2000 17:05:23 -0400
Juste avant de remettre ses lunettes rouges dans le fil LinTel, mon
ami Fabiano Debianiski(1) suggérait que le monde allait de façon
naturelle vers une plus grande diffusion des connaissances:
(1) Le «iski», c'est pour sa tirade: «L'argent, c'est la facon de
compter d'un autre monde.» Hé! Même dans la communauté du Christ, il y
en avait un qui s'occupait de la bourse. C'est vrai que c'était Juda
; )
> Aurait-on pense que l'imprimerie aurait ete aussi
>benefique pour la societe si Gutenberg en aurait garde le secret? Les
>metiers qui ont tente une telle approche n'ont pas su garder un tel
>monopole meme si leur metier etait essentiel.
Alors, oublions pour un instant les nouveaux courants -- les Dupont et
Monsanto qui cherchent à imposer leurs OGM urbi et orbi, et toutes ces
compagnies, habituellement grassement subventionnées par l'État, qui
voudraient bien garder les droits sur le génome humain -- et
restons-en au savoir plus classique.
D'abord, il faut comprendre qu'il ne suffit pas que les données soient
disponibles pour qu'il y ait un véritable accès à l'information. Il
faut aussi rendre disponible la capacité de l'interpréter. La plupart
du temps, des règles du jeu très importantes ne figurent nulle part. À
la Bourse, puisqu'on en a beaucoup parlé récemment, combien de gens
savent interpréter les documents soumis à la SEC? Pourtant, pour les
grands financiers, ces documents sont aussi clairs que... du code pour
un programmeur.
Comment se fait-il que les gouvernements, qui prétendent que tous
doivent pouvoir jouer sur un pied d'égalité ne fassent pas un site
pour énoncer les règles fondamentales? Quant à moi, je n'ai pas mené
de recherche poussée dans le domaine, mais depuis quelques mois que je
m'intéresse à la Bourse, je n'ai pas encore vu de lien vers un site
qui m'expliquerait, par exemple, à partir de quelle valeur d'actions
émises une compagnie doit s'incrire en Bourse, ou qui est exactement
considéré comme un initié (insider), combien de temps ils doivent
garder leurs actions après l'IPO, etc.
Comme l'accès à ces informations est limité, les gens jouent au pif.
La plupart de ceux qui misent sur Red Hat ne savent même pas qu'il y a
eu un split deux pour un juste avant l'introduction en Bourse. (Je me
demande même si cette pratique n'est pas la grande mode.) Mais pour
avoir accès aux règles et pratiques les plus fondamentales, il faut
fouiller avec acharnement.
Mais n'allez jamais dire aux financiers que les documents fournis à la
SEC ne sont pas clairs! Exactement comme les Linuxiens prétendent que
les HOWTO sont d'une clarté absolue, ils vous diront qu'il est
impossible de les écrire autrement.
Et qui n'a pas déjà parlé à des médecins qui prétendent ne rien
pouvoir expliquer de la nature des maladies et des traitements
appropriés? En médecine vétérinaire, c'est encore pire. Alors que bien
des gens n'ont pas les moyens de faire traiter leurs animaux, il faut
toujours passer par un vétérinaire, même pour administrer un
vermifuge.
Je ne parlerai pas des avocats et de notre cher système de justice. Je
pense qu'il est depuis longtemps admis qu'on l'a si bien tarabiscoté
qu'on ne peut plus s'y retrouver à moins d'avoir passé des lustres à
l'étudier.
Oh, oui! Les frands-maçons, les artisans... Allez seulement demander à
un luthier où il prend les petits outils, les limes toutes fines, dont
il se sert. Informez-vous auprès d'un fabricant de vélos comment
aligner un cadre. (Remarquez que Dutil, pdg de Vélo Sport, qui
fabrique aussi Mikado et Peugeot, ne semble pas l'avoir encore
lui-même appris : ) Etc.
Pour des raisons relevant habituellement de la pure mesquinerie, les
spécialistes gardent leurs petits secrets pour eux: ils préfèrent
pêcher le poisson plutôt que de montrer à le pêcher. Ce n'est vraiment
pas le contexte où on peut distribuer quelques poissons et en récolter
de plains paniers. (Allusion à la multiplication des pains.)
Idem pour Linux. On n'aide pas le débutant en le référant à des FAQ et
des HOWTO auxquels il ne pige pas le premier mot. Cela a été dit et
redit mille fois: losqu'il aborde Linux, le débutant a de la
difficulté à saisir le début du fil d'Ariane. C'est pourquoi il
faudrait commencer avec l'installation très simple d'un desktop et le
guider petit à petit dans ce nouvel univers, puis lui faire découvrir,
disons, les shell scripts, puis les scripts sed, awk ou Perl, les
conditions -- if... then... -- les boucles, etc., puis les serveurs,
les protocoles, etc.
Pour ceux qui savent déjà, la tâche peut sembler longue et
fastidieuse, particulièrement quand, dans un monde où il y a tellement
de détails à retenir, on s'est habitué à fonctionner par essais et
tâtonnements. Là, il faut tout dire avec précision, dans le bon ordre,
sans ajouter de détails superflus, mais en s'assurant qu'aucun élément
nécessaire à la compréhension ne manque. C'est toute une discipline à
acquérir!
Que Linux-Québec n'ait jamais tenté de produire un didacticiel pour
amener les débutants à comprendre les bases du fonctionnement de
Linux, témoigne, à mon humble avis, d'un manque d'attention aux vrais
enjeux. Si tout le monde me dit que j'ai un vilain caractère, je veux
bien l'admettre, mais qu'on se mette à ma place. Un débutant me dit
qu'il aurait pu me faire une installation Debian dès ses premières
semaines avec Linux alors qu'un expert prétend qu'il lui faudrait des
mois. On me conseille d'écrire un didacticiel seul et, alors que rien
n'a été fait d'autre part, on vient me dire, comme seul et unique
commentaire, que je manque de pédagogie!
Enfin, le boutte du boutte, on me reproche de vouloir en garder «tous
les droits». Faudrait-il que, contrairement à Torvalds, je laisse à
chacun le droit de se servir du nom «Linux Express» pour en faire ce
qu'il veut? Compte-t-on que, alors qu'il est publié sur l'internet
dans une formule impliquant de nombreux liens html, je tirerai de mon
didacticiel un profit extraordinaire en publiant un livre?
Et si jamais je réussissais à un tirer un quelconque profit, est-ce
que tous les gens qui m'assurent ici savoir écrire ne comprennent pas
le temps relatif qu'il faut pour faire une installation Debian et pour
la décrire? Si une seule personne doit réunir par écrit les
expériences de tout un chacun, ne devrait-elle pas avoir droit à une
quelconque rémunération? Est-il normal que seuls les gens qui écrivent
du code soient payés? Croit-on vraiment que si quelqu'un d'autre se
dévouait corps et âme pour ce didacticiel, je voudrais le laisser
crever de faim et me priver de ses services en ne partageant pas le
pécule offert par... un éventuel généreux donateur qui ignorerait mes
collaborateurs?
On croirait rêver! Est-ce que la réalité ne parle jamais d'elle-même?
Le «legalese» n'ajoute-t-il pas parfois plus de problèmes qu'il n'en
résoud? Qu'on aille lire les contrats de service de Altern.org et de
Hotmail et qu'on me dise si Valentin Lacambre n'est pas aussi bien
protégé par la réalité pure et simple que Microsoft par tout son
legalese. Et quand on est rendu en Bourse avec linux, est-on bien sûr
que l'esprit de la license GPL n'est un peu dénaturé? L'approche
simple de Lacambre m'a beaucoup appris.
---
D'autre part, il est certain que les compagnies Linux cotées en
Bourse, qui prétendent se renflouer bientôt avec «le service» et dont
les actionnaires tapent du pied en constatant que leurs actions au
cours gonflé ne rapportent pas un sou, n'auront ni le temps, ni
l'intérêt pour faire de la formation. En fait, la fuite en avant qu'a
constitué leur introduction en Bourse, est une démonstration claire et
nette de la faillite du modèle compagnie à capital-actions pour Linux.
N'eut été de son entrée en Bourse, Red Hat, la plus prestigieuse des
compagnies Linux, aurait depuis longtemps passé l'arme à gauche. Or,
voilà qu'un apport de 90 millions de dollars lui permet non seulement
de survivre, mais de pousuivre son développement et de prendre de
l'avance côté financement sur les autres compagnies, les forçant à
leur tour à jouer le même jeu.
Comprend-t-on mieux maintenant que Bob Young admette que son héros est
Bill Gates? Il est absolument incapable de concevoir un modèle
économique autre que le capitaliste pur et dur où la faim justifie les
moyens. Si les dollars vitement accumulés permettent de semer la
concurrence, pourquoi pas la Bourse, malgré que les actionnaires
impatients qui risquent de dicter l'orientation de la compagnie? À ce
jeu-là, comment la compétence arrive-t-elle à prendre le dessus?
(D'autre part, il est certain que le modèle ne doit pas déplaire non
plus à Cowpland (Corel), Love (Caldera) et à plusieurs autres.)
Il fallait bien payer les employés, prétextait-on. Sauf qu'on aurait
pu démarrer une coopérative plutôt qu'une compagnie à capital-actions,
mais l'alternative, en autant que je sache, n'a jamais été envisagée.
Avec de l'argent amassé à la petite semaine à faire des contrats
plutôt que tombé du ciel, le développement aurait été plus lent, mais
plus sûr.
Est-ce que ces gens qui se regroupent ainsi sous la bannière des
dollars, qui se promènent en BMW avec l'argent des actionnaires alors
que la compagnie ne fait toujours aucun profit, parviendront à former
une organisation durable? J'en doute plus qu'un peu, surtout si on
regarde l'ennemi en face, Microsoft.
Car, n'en déplaise aux Linuxiens, s'il y a une chose étrangère à
Microsoft, c'est bien la coexistence pacifique. Inévitablement, il
faudra en venir à l'affrontement avec cette compagnie qui, elle, n'a
été introduite en Bourse que parce que la loi l'y obligeait et non
pour se remettre à flot. Or, avec la license GPL, on ne peut battre
Microsoft sur son propre terrain, Il faut définir un autre terrain où
elle ne peut prendre pied.
En fait, le problème ici est exactement le même que chez CAM (voir
http://altern.org/gipe/cam.html ). Au départ, la structure -- la
license GPL dans le cas de Linux, le statut d'OSBL dans le cas de CAM
-- est conçue pour un autre mode de fonctionnement que le capitalisme
classique, mais, comme tout le monde semble avoir les yeux rivés sur
ce seul modèle, on essaie de contourner tous les obstacles pour s'y
adapter et on ne s'intéresse aucunement au mode de fontionnement
propre à la structure, qui suppose la décentralisation des pouvoirs et
l'implication de la base, une base qui pourra éventuellement apporter
non seulement au point informatique, mais aux points de vue légal,
économique... didactique, etc.
De toute évidence, le modèle communautaire -- OSBL ou coopératives --
laisse spectique. On se rappelle les expériences folles de l'époque
hippie, le débordement d'énergie qui n'a souvent abouti à rien. Mais
on oublie peut-être trop facilement les résultats probants dans les
domaines où les gens avaient un peu plus les pieds sur terre: dans
l'agriculture, les pêcheries, les caisses populaires, etc.
Ce n'est pas la première fois qu'on prône une joyeuse anarchie, mais
l'enthousiasme débordant ne donnera pas de meilleur résultats en
s'orientant vers le capitalisme. Il faut apprendre à s'organiser en
commençant par la base. Actuellement, la libre diffusion des
connaissances ne me semble pas plus assurée dans le monde Linux que
dans n'importe quel autre champ d'activité.
GP
--
La Masse Critique
http://altern.org/gipe
Rencontrez Néfertiti, Einstein, Tocqueville, etc.