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les logiciel libres menacés...



  LE MONDE | 23.03.02 | 16h38
Logiciel libre : Bernard Lang à l'assaut
Bernard Lang est directeur de recherche à l'Inria. Cet ingénieur veut
faire du logiciel libre un instrument d'indépendance et de
démocratisation d'Internet.

Bernard Lang n'aime pas recevoir dans son bureau. L'¦il amusé, il
désigne du regard "le poids de -sa- culpabilité", un imposant
fouillis de revues, de livres et de rapports qui encombrent sa table
de travail. "Tout ce que je n'ai pas eu le temps de lire ou de
ranger", s'excuse-t-il en souriant. Du temps, Bernard Lang en manque
singulièrement. A 57 ans, ce directeur de recherches à l'Institut
national de recherche en informatique et en automatique (Inria) a
toutes les peines du monde à faire concorder dans le même agenda ses
obligations de secrétaire de l'Association francophone des
utilisateurs de logiciels libres (AFUL) et de membre du conseil
d'administration du chapitre français de l'Internet Society
(ISOC-France).

Dans le cadre de cette institution, il participe depuis deux mois à
un comité d'étude des monopoles informatiques, créé lors des
dernières Rencontres de l'Internet à Autrans (Isère). Un groupe de
travail dans lequel il voit un instrument de "sensibilisation des
pouvoirs publics à la nécessité de protéger Internet, tel qu'il est".
C'est-à-dire pour le chercheur un outil "libre et ouvert, permettant
l'innovation" et dont les standards techniques relèvent du domaine
public. Obscures considérations d'experts ? Non, le projet est avant
tout politique. "Faire des choix techniques sur le Réseau, c'est
aussi faire des choix de société, martèle-t-il. L'aménagement urbain,
par exemple, n'est jamais innocent : construire une route entre un
quartier riche et un quartier pauvre n'est pas anodin. C'est
exactement la même chose pour l'aménagement technique de l'Internet.
Et c'est aux Etats de le prendre en charge, pas aux entreprises !"

Ses détracteurs l'assurent : Bernard Lang n'aime pas les entreprises.
A en croire l'un d'eux, il serait même "un idéologue viscéralement
opposé à l'économie de marché". Avec vigueur, il dément, arguant du
fait que les monopoles informatiques ne trouvent pas leur source dans
l'économie de marché en elle-même, mais dans son dévoiement. Selon
lui, ce sont les fortes concentrations dans le secteur de
l'informatique qui interdisent l'émergence de toute concurrence.

Le monde de l'entreprise ne l'a, pour autant, jamais vraiment attiré.
Après ses classes préparatoires, il intègre Sup Télécom, une école
d'ingénieurs qui ouvre généralement à ses étudiants de prestigieuses
carrières dans l'industrie. Mais au confort d'un poste dans un grand
groupe, il préfère l'austérité de la recherche. "A la fin de mes
études, dès que j'ai eu connaissance de la création de l'Inria, j'ai
su que c'était là que j'avais envie de travailler", confie-t-il.

Dès qu'il y arrive, au début des années 1970, Bernard Lang travaille
sur l'arborescence et la structuration de documents. Des recherches
qui, malgré l'incompréhension qu'elles suscitent à l'époque,
préfigurent un langage à la base de l'Internet : le HTML... Plus
tard, au milieu des années 1980, il change de discipline et
s'intéresse au traitement informatique du langage naturel. A cette
époque, il fait pour la première fois l'expérience de la
"propriétarisation" du savoir.

"Pour faire de la linguistique informatique, on a besoin d'énormément
de données, de grammaires, de lexiques, etc. Car pour travailler sur
un maillon de la chaîne, on a besoin de la chaîne tout entière",
explique-t-il. Mais, déjà, les universités américaines sont incitées
à "protéger" certains de leurs résultats et le cloisonnement entre
laboratoires lui pèse. Il reste, aujourd'hui encore et malgré tout,
responsable à l'Inria du projet Atelier d'outils logiciels pour le
langage naturel (Atoll).

UN FRANC CONFLIT D'INTERETS

Mais ce n'est plus sous les habits du chercheur en informatique
linguistique que Bernard Lang est généralement présenté. Lorsqu'on
parle de lui, c'est généralement pour le désigner comme un
irréductible ennemi de Microsoft. Un raccourci qu'il conteste. "Il
est faux de me présenter ainsi. Que Microsoft use et abuse de sa
situation est, dit-il, bien sûr scandaleux, mais j'en veux surtout
aux acteurs politiques, qui ne font pas leur travail de régulation.
Microsoft est là pour gagner de l'argent et c'est la seule chose
qu'on peut attendre d'eux."

Entre Bernard Lang et la firme de Bill Gates, on peut néanmoins
parler d'un franc conflit d'intérêts. Terrain privilégié de cette
opposition : le brevet sur le logiciel. Le cofondateur de l'AFUL,
utilisateur militant de Linux, est l'un des plus farouches opposants
à ce que le jargon administratif nomme "l'extension de la notion de
brevet aux inventions mises en ¦uvre par ordinateur".Et ce, à rebours
de l'intense travail de lobbying exercé par Microsoft, mais aussi
IBM, Thales et d'autres grands industriels.

Contrairement à la lutte contre la prise de brevets sur le vivant,
qui fait l'objet d'un vigoureux débat public, cette lutte-là reste
étrangère au grand public. Technique, complexe, l'enjeu n'est pas de
ceux qui passionnent."La différence avec le débat sur la
brevetabilité du génome est religieuse, analyse- t-il. Dès lors que
l'on touche à la nature, à la Création en somme, la mobilisation est
toujours plus forte." En dépit de ce manque d'intérêt du plus grand
nombre, les "inventions mises en ¦uvre par ordinateur" sont toujours
protégées, en Europe, par le seul droit d'auteur. La Commission
européenne, qui présente une directive sur la question des brevets
logiciels, se heurte à l'opposition de groupes militants toujours
plus nombreux.

Bernard Lang en est. Et lorsqu'il parle de cette lutte-là, il se fait
plus volubile. Il argumente, prend mille exemples, cite des rapports
d'économistes à foison, veut convaincre coûte que coûte. "Le brevet
sur le logiciel va tuer l'innovation en permettant aux grands groupes
de placer des barrières autour de technologies qu'ils estiment
importantes, assure-t-il. A vouloir breveter une "création
immatérielle" comme le logiciel, on en vient à breveter le problème
plus que sa solution !" Surtout, il voit dans une telle extension de
la propriété intellectuelle une arme redoutable contre les logiciels
libres - ces programmes gratuits et ouverts qui concurrencent ceux
des grands éditeurs - dont la distribution pourrait se trouver
bloquée par des attaques en contrefaçon.

La défaite des logiciels libres représenterait pour lui un échec
majeur. Car ces logiciels sont garants de l'indépendance
technologique du Vieux Continent vis-à-vis des entreprises
américaines. "Avec les logiciels libres on est en mesure de réaliser
ce qu'il a été impossible de faire avec Bull, à grands coups de
subventions", explique-t-il. A certains égards, cet engagement est
une belle révérence tirée à l'institut où il a fait toute sa
carrière. Car l'Inria fut fondé, à la fin des années 1960, par le
général de Gaulle pour assurer l'autonomie technologique de la
France. A sa façon, Bernard Lang dit se battre, trente ans plus tard,
pour préserver celle de l'Europe.

Stéphane Foucart (Le Monde interactif)
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Les risques d'un Internet privatisé


Le World Wide Web Consortium (W3C) pense, depuis quelques mois, à
adopter comme standards de l'Internet des technologies propriétaires,
dont les brevets sont détenus par des intérêts privés. Un changement
culturel et économique qui tranche avec les débuts du Web et inquiète
des associations comme l'Association francophone des utilisateurs de
logiciels libres (AFUL) de Bernard Lang ou l'Association pour la
promotion de la recherche en informatique libre (April). De telles
dispositions pourraient permettre aux grandes entreprises de taxer
l'utilisation du Réseau et d'annihiler la concurrence venant des
entreprises plus petites. L'opérateur historique britannique British
Telecom a ainsi exhumé un brevet sur le lien hypertexte et tente en
ce moment même de faire valoir son droit devant les tribunaux, en
attaquant en contrefaçon le fournisseur d'accès Prodigy. Dans le même
esprit, un consortium de géants de l'informatique, propriétaire des
brevets sur le format de compression MPEG4, a récemment annoncé sa
volonté de taxer à hauteur de deux centimes d'euro chaque heure de
vidéo compressée à ce format et diffusée sur Internet !


* ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.03.02

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