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Les info-suits
- To:
- Subject: Les info-suits
- From: (Gilles Pelletier)
- Date: Tue, 31 Oct 2000 12:51:07 -0500 (EST)
-
In-reply-to: <[email protected]>
gipe@spamMEnot_videotron.ca (Gilles Pelletier) écrivait/wrote:
>Or, Linux se fonde actuellement sur des chapelles d'initiés qui
>chargent de 60 à 100$ l'heure pour régler un OS gratuit et qui sont
>peu enclins à partager leurs connaissances. Comme je l'ai déjà
>expliqué, c'est ce qui a fait entrer les serveurs NT chez plusieurs
>fournisseurs.
Tiens, voici la démonstration de ce que je veux dire qui m'arrive par
courel:
«Tu sais mon ti-Gilles, quand à mon boulot on m'a demandé si ça valait
la peine d'envoyer l'équipe de développement au COMDEX, j'ai dit non.
Tout le monde était d'accord avec moi. Le COMDEX, c'est pour les
"suits". Pas de public, pas de consommateurs, rien que des suits
présents pour ce pêter les bretelles mutuellement. Bref, que des
grandes gueules comme toi qui n'ont rien d'autres à montrer.»
---
C'est l'éternelle guerre entre les «suits» et les hackers, dira-t-on,
mais, ce combat, il est de tout temps.
Quand j'étais jeune, dans les années 60, c'est l'automobile qui
remplaçait l'informatique comme sujet de discussion. Je connaissais un
garagiste à qui on aurait pu donner une auto en pièces détachées et
qui l'aurait remontée de A à Z: moteur, transmission automatique ou
manuelle, carburateur, générateur, tout!
Alors, quand il entendait les gens parler mécanique, il riait in
petto. Même s'il parlait peu, on voyait qu'il prenait ces profanes qui
parlaient de V8, de vitesse et d'accélération pour de véritables
crétins... ce qu'ils étaient sans doute dans ce domaine où ils ne
connaissaient rien.
Élevé à la campagne, mis à la mécanique dès le plus jeune âge,
mécaniciens de chars d'assaut durant la guerre, il n'avait évidemment
aucune notion de littérature, de philosophie, d'histoire, etc. Alors,
quand il parlait de la folie du monde, toute son assurance se fondait
sur ses connaissances en mécanique. Et là, c'était à son tour de
paraître un peu idiot.
C'est un peu la même chose aujourd'hui avec les gens qui s'occupent
d'informatique, cette science décisive pour notre civilisation. Bien
qu'ils se penchent à coeur de jour sur des sujets qui demandent
beaucoup d'attention, mais qui ne sont guère plus instructifs pour la
connaissance de l'état du monde que le réglage d'un carburateur, ils
se croient aptes à se prononcer sur tout sujet... et à qualifier de
«suits» ceux qui ne connaissent rien à l'informatique. C'est comme si
le monde se divisait en deux: les suits et les non-suits.
Mais on est toujours le suit de quelqu'un. Pour Marinoni, ceux qui
étaient incapables d'aligner un cadre, c'était des suits. Même chose
pour le luthier envers ceux qui ne savent pas quels outils utiliser et
qui, surtout, n'ont aucune idée de l'incroyable précision à laquelle
l'oeil humain peut arriver.
Mais, pour un historien des civilisations, qui a étudié comment elles
naissent et disparaissent, ne serions-nous pas tous des suits avec
notre emballement gaga et nos lendemains qui chantent? Et pour un
astro-physicien, notre vision du monde ne semblerait-elle pas
dangereusement étriquée? Et, pour un médecin ou un biologiste, la vie
n'est-elle pas tout autre chose que pour le commun?
Chaque corps de métier parle sa langue et parce que, à certaines
époques, certains métiers prennent plus d'importance, les plus sots
parmi ces confréries se croient autorisés à parler ex-cathedra et à
qualifier de suits ceux qui ne parlent pas leur langage. C'est
complètement ridicule: on est toujours le suit de quelqu'un et cette
mentalité obtuse nous empêche de découvrir d'autres horizons.
Les suits qui étaient au Comdex, ils prennent des décisions, entre
autres, celle de choisir un OS plutôt qu'un autre. Dans notre société
de traficottage, les administrateurs ont mauvaise presse et il n'y a
pas de doute qu'il se trouve autant d'idiots dans ce domaine que dans
n'importe quel autre. Plus, diront certains. Mais, quoi qu'en pensent
certains anarchistes, aucune civilisation avancée n'a survécu sans une
certaine forme d'administration et je crains fort qu'on ait simplement
celle qu'on mérite.
L'avantage de Microsoft, c'est que le premier qu'on prend à chier sur
les suits, il est dehors. On a compris quelque chose: on leur vend aux
suits! Et bien sûr, on leur vend en leur racontant n'importe quelle
salade.
Et bien, justement, là, on avait l'occasion de leur montrer une autre
façon de voir les choses. Au lieu de les dénigrer, on aurait pu leur
montrer qu'avec un bon didacticiel, le networking, ce n'est pas si
compliqué que ça. On aurait pu leur démontrer qu'il y a peut-être
d'autres possibilités que le calvaire des HOWTO. (Cobalt, avec son
Qube, a l'air d'avoir compris ça aussi.)
Moi, je trouve que c'était très important. Il y a deux ans, j'ai fait
part de mes commentaires à Comdex après l'expositon. Je leur ai dit
combien j'avais trouvé ça terne, sans vie, une affaire de suits. Voilà
que Comdex nous offre un kiosque et même une aire de conférence. On
avait déroulé le tapis rouge, ça ne coûtait pas un sou et on prétend
aider la cause Linux en disant que c'est parce que c'est des suits,
des décideurs, des gens du gouvernement, du privé, qui sont au Comdex
qu'on n'y était pas présents. Hé! Plus crétin que ça, tu meurs,
monsieur l'informaticien!
Imaginons l'effet qu'aurait eu un kiosque Linux-Québec avec une
démonstration bien rodée alors que, juste à côté, Corel attirait les
foules. On aurait eu deux fois plus de monde qu'au kiosque Microsoft,
facile!
En fait, maintenant que j'ai reçu cette lettre, je me demande si ce
n'est pas effectivement à cause de cette vision absolument débile
qu'on a fait un pied de nez à cette offre généreuse.
Qui a décidé de faire ça? Personne. Parce que Linux-Québec, ça
n'existe pas. Parce que Michel Dagenais, il n'a aucun mandat. Parce
qu'il n'y a jamais aucune discussion véritable et que c'est des
info-suits sans aucune idée de ce qu'est la mise en marché qui
prennent les décisions.
L'année prochaine, à moins qu'on démontre qu'on est devenus plus
matures, c'est le Comdex qui risque de nous faire un pied de nez.
Le tendon d'Achille de Linux, il est là: les info-suits. Avec
l'arrogance dont ils témoignent, on ne fait pas plus suits que ça.
GP
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La Masse Critique
La mondialisation: un brin de réalisme dans l'explication...
http://pages.infinit.net/mcrit/fox.html
Rencontrez Néfertiti, Einstein, Tocqueville, etc.