[Précédent (date)] [Suivant (date)] [Précédent (sujet)] [Suivant (sujet)] [Index par date] [Index par sujet]

Noé



[email protected] (Charles Levert) écrivait/wrote:

>Oui, du lobbying, mais aussi de l'éducation du public at large (le 2e
>« nous » plus haut) puisque nous sommes en démocratie.

L'éducation est évidemment primordiale. Mais comment pourrait-on
reprocher au public en général de se désintéresser des problèmes de
liberté informatique? 

Quand on entretient les Linuxiens de la lutte de libération au Chiapas
ou au Tibet, est-ce que ça les intéresse? Et, au sujet des prêts de
milliards de dollars du FMI à l'ex-URSS qui disparaissent dans les
goussets des dirigeants tandis que le peuple est de nouveau aux prises
avec les maladies endémiques, que disent-ils? Et quand on bombarde
l'Irak et la Yougoslavie à l'uranium appauvri, qu'on provoque des
désastres écologiques et qu'on laisse ensuite les gens crever de mort
«naturelle» derrière des blocus? Et quand on fait des lavages de
cerveau à nos «paras», et à des civils dans nos hôpitaux?

Les Linuxiens ont la même réaction que la population en général au
sujet de la liberté informatique: pour eux, ceux qui soulèvent ces
questions ont du temps à perdre. (Voir, entre autres, les réponses que
j'ai reçues au sujet de ma couverture des lavages de cerveau au Allan
Memorial Institute.)

Alors, la mission d'éducateurs des Linuxiens me fait un peu sourire.
Est-ce que tous les problèmes que nous observons ne relèvent pas d'une
seule et même dictature qui s'installe petit à petit?

Car nous ne vivons plus en démocratie. Nous vivons en
«mock-democracy». Exactement comme l'appréhendait Eisenhower, c'est le
complexe militaro-industriel qui mène la planète et on aurait beau
faire appel aux députés, ça ne changera rien à rien. 

Ce ne sont pas les députés qui font les lois, ce sont les
«spécialistes», les avocats de la GRC, par exemple. Les députés ne
font que les voter. Ils pigent à peine le jargon employé -- et pas
seulement en informatique! -- , les implications de certains articles
leur restent souvent obscures et, lorsque ça fait deux ou trois fois
qu'une même loi, à peine modifiée pour changer le numéro, se rend en
troisième lecture, ils sont prêts à voter à peu près n'importe quoi.
(Il faut voir à quoi ressemblent ces débats pour comprendre.) Imaginez
un peu ce que Jean Chrétien, leur grand patron, peut comprendre aux
lois qu'il vote, et vous avez le portrait de la situation.

Et si jamais les avocats de la GRC ne réussissent pas à faire adopter
leurs lois du premier coup, ce sont des gens patients: les
gouvernements passent, mais la GRC et l'armée restent. Et ils ont
beaucoup de renseignements sur les aspirants députés et plus d'un tour
dans leurs «dirty tricks departments».

Et ça, c'est juste le côté policier de l'affaire. Il y a les avocats
des papetières et nos forêts boréales qui disparaissent. Il y a la
pollution qui est en train de nous cuire à grand feu et tout le monde
qui veut tout de même avoir sa voiture pour retourner en banlieue
après l'ouvrage et passer ses vacances aux States. 

Le système d'éducation, l'industrie, le système judiciaire, la presse,
alouette, ça fait un peu beaucoup à changer. Peut-être qu'on a déjà
beaucoup trop compté sur les députés et que le meilleur projet est
celui de Noé: créer quelque part un petit bateau qui continue à
flotter. Quand on pense, par exemple, à ce qu'il en coûtait autrefois
pour produire un journal en quadrichromie et le publier à la grandeur
de la planète, les empires de presse sont aujourd'hui à portée de
main. Il ne manque que la matière grise.

Mais, à contredire la version idyllique de notre monde, il faut
s'attendre à faire face à bien des embûches, et pas seulement du
complexe militaro-industriel. Fournir une éducation et une information
de qualité dans notre société où tout semble aller de soi, c'est ce
qu'il y a de plus ardu. 

Comme le faisait observer Robert W. McChesney dans "Rich Media, Poor
Democracy: Communications Politics in Dubious Times", «In today's
corporate media system, journalism . . . has nearly ceased to exist on
the air. And has been greatly diminished elsewhere. The reason is
simple: Good journalism is bad business, and bad journalism can be
very, very good for business.» (Citation prise sur la page:
http://www.peakpeak.com/~jking/media/media.html Sous toute réserve,
donc.)

C'est pourquoi les gens préfèrent en général compter sur leur député
plutôt que sur Noé. 

GP
--
La Masse Critique
http://altern.org/gipe
Rencontrez Néfertiti, Einstein, Tocqueville, etc.